Après un samedi familial je suis retourné chez moi au soir. Le parcours est long et laborieux. Il y a 2 ans cette marche me prenait 20 minutes maintenant il me faut 40 minutes pour regagner mon chez moi.
Pour ne pas me fixer sur les difficultés de mon épreuve, je téléphone à quelqu'un lorsque c'est possible pour lui faire la causette tout en me déplaçant, le casque sur la tête.
J'ai fait le code ouvrant la grille qui me mène à la residence regroupant plusieurs immeubles qui se font face.
C'est à cette endroit que j'ai vu placardé au mur sur une feuille banale de papier, la photo de ma voisine Carole avec son chien dans ses bras. J'ai compris tout de suite sans lire le petit texte en dessous. Elle est décédée, partie dans l'autre monde.
Ma voisine logeait dans l'immeuble en face et la fenêtre de sa chambre donnait sur ma cuisine. Cette femme vivait seule avec son petit chien de race papillon qu'elle s'est achetée il y a 2 ans environ.
Carole avait deux facettes celle alcoolisée et celle sans alcool. Elle était plus sociable sous alcool au point même où elle pouvait sans s'en rendre compte répéter la même information 3 ou 4 fois avec des phrases différentes. Elle ne titubait pas comme une ivrogne non, tout se sentait à travers ses propos.
Pendant le confinement, je me souviens des rassemblements improvisés entre voisins, dans l'allée de la résidence où nous étions libres de sortir sans justificatif. Je l'ai vu en pleurs en voyant les chiens affectueux des voisines. J'avais appris par l'une d'elle qu'elle venait de perdre son petit caniche.
Il fallait que ça lui tombe dessus pendant ce confinement merdique.
Pendant cette périodes de restriction, j'ai discuté un peu avec elle. Elle peint, c'est une artiste qui ne s'est pas exposée comme bien d'autres. C'est une rebelle qui n'a pas la langue dans sa poche. Elle a ses têtes, il y a ceux qu'elle n'aime pas pour des raisons diverses et ceux qu'elle adore. Elle avait des avis très tranchés contrairement à moi qui pense que le plus gentil est capable de faire la pire des crasses. Il n'y a pas les montres d'un côté et les anges de l'autres. C'est bien plus complexe, pour exemple, l'abbé Pierre. En chacun de nous du bon et du moins bon cohabitent à des degrés variables. Nous avions donc des avis bien différents. Lorsque cette femme me disait "ce voisin est un connard", je lui répondais qu'il avait était très gentil avec moi. On a parlé également de son chien mort quelle adorait plus que tout. C'était un caniche marron clair. J'ai voulu savoir si un autre chien pourrait succéder à celui-ci. C'était prévu pour sa retraite.
Avant le confinement, nous n' échangions qu'un vague bonjour. Elle avait peut être un avis défavorable me concernant, qui sait...
2 ans plus tard, Carole a en effet ouvert ses bras à un petit chien papillon qui est entré dans sa vie : dynamique, plein de joie. Lorsqu'on la croisait, elle avait l'air bien heureuse en compagnie de Kiki.
J'ai ce souvenir au début de mon arrivée de la voir dans la brasserie qui me permettait de voir des matchs de foot. Ce lieu ce trouvait à 100 mètres de la résidence et je m'y rendais à vélo. Je m'étais pris une fois un steak tartare avec des frites, tout en regardant un grand match de ligue des champions. C'était génial...
Carole arrivait comme une habituée, botte et veste en cuire noir tutoyant le barman qu'elle devait déjà bien connaître. Elle buvait du vin en échangeant quelques mots avec lui. Elle avait tardé à m'apercevoir et je n'eu droit qu'à un petit signe de tête. Il se peut que ma présence l'avait à l'époque un peu dérangé car je découvrais son quotidien avec son rapport avec l'alcool.
Lorsqu'on se croisait, elle disait un bonjour sommaire me donnant l'impression d'en avoir rien à battre. D'autre fois, lorsqu'elle avait bu, elle engageait des petites conversations par "un bonjour ça va ?" Dans ces moments, elle parlait de son chien, du temps ou encore des événements importants et lorsque l'alcool lui avait donné de plus grands élans, j'avais l'honneur d'être accompagné dans ma lente marche.
Cela doit faire maintenant un peu plus d'un ans, je l'ai croisée avec une sorte de bonnet cachant visiblement la perte de ses cheveux. J'ai vite compris qu'une chimio en était la cause. Carole m'a alors dit : j'ai confié mon chien. C'est mieux comme ça"
J'ai senti que je ne devait pas demander de précisions. Ma voisine préférait me livrer que quelques mots lourds de sens.
Allant bien moins au travail, je la voyait très peu. J'ai pu constater quelques mois après qu'elle avait repris son chien et tous ses cheveux avaient repoussé. Je pensais que le plus dur était derrière mais le gardien à qui elle pouvait parfois se confier m'a dit que la chimio n'avait pas marchée et qu' elle ne désirait pas en faire une autre. Elle a préféré se passer des soins qui font souffrir et se laisser partir. C'est un choix que je respecte. Libre à elle de décider.
Après avoir lu les quelques mots sur sa mort, je me suis dit qu'on consacre tous ses efforts pour un travail et lorsque le repos est mérité, c'est pour finir entre quatre planches.
Mourir, la retraite venue y a rien de pire. C'est comme une arnaque sociale. payer une retraite pendant toute sa vie pour qu'au bout du compte on ne profite pas à son tour de la retraite.
Je n'étais pas très proche d'elle mais c'est tout de même bien triste.
Paix à son âme.
Dernière modification le mardi 15 Avril 2025 à 12:21:18