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La Part de l'ange Auteur : Maria Adolfsson

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Prologue Elle observe son portable et esquisse un mouvement de recul comme si l’objet constituait une menace. Elle se lève et se poste à l’entrée du salon. Elle examine la pièce un instant, fait demi-tour et repasse devant la table de la salle à manger en tâchant d’ignorer la force d’attraction de l’écran noir. Arrivée près du vestibule, elle s’immobilise et laisse son...

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Prologue
Elle observe son portable et esquisse un mouvement de recul comme si l’objet constituait une menace. Elle se lève et se poste à l’entrée du salon. Elle examine la pièce un instant, fait demi-tour et repasse devant la table de la salle à manger en tâchant d’ignorer la force d’attraction de l’écran noir.
Arrivée près du vestibule, elle s’immobilise et laisse son regard errer par la fenêtre. Il serait si facile de faire comme si de rien n’était. D’écouter cette voix qui lui murmure qu’il ne faut pas. Que ce serait mal. Cette voix de plus en plus tranchante qui lui conjure d’être raisonnable. Au risque de tout foirer.
Elle hésite, lorgne la porte de la cave. Dieu qu’il serait tentant de prendre une bouteille de rouge, de s’installer devant la télé et d’essayer d’oublier.
Ce serait la bonne chose à faire.
Néanmoins elle sait qu’elle ne tardera pas à passer ce foutu coup de fil. Une conversation qui pourrait lui coûter son travail si quelqu’un venait à l’apprendre. Ou pire, l’occasion pour son interlocuteur d’avoir la possibilité de se débarrasser définitivement d’elle.
Ce n’est pas bien, se dit l’inspectrice de police Karen Eiken Hornby en saisissant l’appareil. Pas bien du tout, mais c’est le seul moyen.

25 décembre
Il fait à peine zéro degré, mais l’air sec lui embrase les poumons. Gertrud Stuub s’arrête afin d’inspirer à travers son écharpe. En se rendant compte avec effroi qu’elle s’apprêtait à jurer, elle esquisse un signe de croix. Elle remonte l’étroit sentier bordé d’arbres qui mène à la crête, jetant quelques coups d’œil inquiets alentour en refusant de penser à ce qu’elle pourrait découvrir.
Tu délires, se dit-elle, secouée d’un frisson. Il n’a jamais rien promis, c’est toi qui t’attendais à le voir. Voilà pourquoi tu as accouru comme une vieille folle. Elle s’oblige à se calmer, à reprendre son souffle avant d’accélérer le pas sur le chemin accidenté, jonché de dangereux nids-de-poule gelés.
À gauche se dresse la falaise et ses troncs dénudés, à travers lesquels on devine la silhouette bleue du Dos de Chèvre. Le chemin qui monte à pic est impraticable pour quelqu’un de son âge ou de celui de Fredrik. Il sait ce qu’il fait, se convainc-t-elle pour chasser cette idée de son esprit. Et les autres versants sont encore plus escarpés. À droite, à quelques mètres du sentier, c’est le vide.
Elle se résout à tourner la tête. Aussi loin que porte son regard, le lac s’étire dans les pâles premiers rayons du soleil matinal de décembre. Un lac gelé en pleine forêt. Jusque-là, rien d’anormal. Si elle se risquait de quelques pas hors du sentier et se penchait pour lancer un coup d’œil en contrebas, elle verrait le flanc de la montagne se jeter dans le précipice. Mais Gertrud est bien décidée à ne pas s’approcher du bord.
— Il fait ce chemin tous les jours, dit-elle tout haut.
La fragilité de sa voix et le silence épais qui engloutit ses mots l’angoissent. Elle n’a pas la force de l’appeler, de peur d’entendre son propre cri. S’il est dans les parages, elle le trouvera.
Il connaît le coin par cœur. Il pourrait le sillonner les yeux fermés, comme Sammy. Ils sont sans doute déjà rentrés. Fredrik est probablement bien au chaud dans la cuisine avec une tasse de café et les restes de brioche au safran d’hier. Lui qui ne croit ni à l’enfer ni au paradis. Allez, ça suffit les bêtises, conclut-elle en regardant furtivement par-dessus son épaule le chemin déjà parcouru. Je mettrais presque autant de temps à redescendre qu’à contourner la mine à ciel ouvert.
Elle refait un signe de croix, pestant intérieurement contre le manque d’égards de son frère, et surtout contre son impiété, avant de poursuivre sa route en soupirant. Fredrik ne va jamais à l’église sauf pour les laudes de Noël, comme la plupart des mécréants qui ne franchissent le seuil de la maison du Seigneur qu’à cette occasion, ou pour les mariages et les baptêmes. Qui sait ? Peut-être qu’il a eu une panne de réveil.
Elle discerne le terrain de manœuvre où le chemin s’élargit. Il y a longtemps que les véhicules de transport ne viennent plus par ici. La route est zébrée de crevasses qui se creusent au fil des années. Il n’y a aucune raison de l’entretenir, certains habitants y jettent même leurs ordures au lieu de se rendre à la déchetterie de Valby qui a augmenté ses tarifs. Des cochons, prêts à tout pour économiser quelques marks. Mais il ne leur viendrait pas à l’idée de s’aventurer ici le jour de Noël. À part Fredrik, nul n’est assez idiot pour se balader dans le coin. Même l’été, il semblerait que les jeunes ne bravent plus l’interdiction de se baigner dans les bassins de décantation de la mine. Instinctivement, Gertrud tâte la poche de son manteau pour vérifier que son téléphone s’y trouve bien. Si elle tombait, personne ne la retrouverait. En tout cas pas en cette saison.
En fait, ce serait bien que son frère ait fait une chute, qu’il se blesse et qu’il retienne la leçon. Rien de grave, juste assez pour qu’il comprenne qu’il est trop vieux pour se promener seul en pleine nature... À peine a-t-elle formulé cette mauvaise pensée qu’elle porte la main au front pour l’effacer.
— Ohé ! Fredrik ! s’écrit-elle.
Elle s’arrête en entendant un gémissement, celui d’un chien malheureux. Son sang se glace en apercevant Sammy. Le border collie noir et blanc va et vient désespérément au bord de la mine, traînant derrière lui sa longue laisse. Puis il se couche, se relève et s’agite de nouveau comme s’il voulait descendre dans le précipice. En apercevant Gertrud, il dresse soudain les oreilles et s’élance à sa rencontre en aboyant, puis il se met à ramper en direction de l’abîme. Elle le suit à contrecœur tout en prononçant une prière :
— Pitié, mon Dieu. Ne m’abandonne pas maintenant.
De l’endroit où elle s’immobilise, Gertrud ne voit son frère nulle part. Pendant une seconde qui lui donne le vertige, elle espère – Fredrik n’est peut-être pas tombé, ce n’est sûrement que la vieille balle de tennis que le chien s’obstine à emporter en promenade. Fredrik pourrait l’avoir lancée malencontreusement au fond de la mine. Le cœur battant, elle s’approche du bord et se penche mais n’aperçoit toujours rien.
Une dernière prière avant de se mettre à plat ventre pour regarder en bas. Alors seulement tout espoir s’éteint.

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